Pourquoi un nombre croissant de voitures fait le choix de délaisser Apple et Google : la fin d'une époque.

Nov 30, 2025Par Conseil Direct
Conseil Direct

Suite à plus de dix ans de domination quasi absolue parmi la majorité des fabricants, Apple CarPlay et Android Auto voient leur suprématie contestée. De plus en plus de marques, comme General Motors, Rivian et Tesla, se montrent réticentes à adopter ces systèmes qui, pourtant, sont considérés comme vitaux par des millions d'automobilistes.

L'introduction d'Apple CarPlay et Android Auto dans nos véhicules, il y a seulement dix ans, semblait être une véritable émancipation. Adieu les interfaces de conception approximative, les menus illisibles, peu conviviaux et les systèmes de navigation préhistoriques.

Apple et Google offraient finalement une expérience homogène et intuitive, qui faisait de l'écran de votre voiture une extension naturelle de votre smartphone. L'initiative a été immédiatement et presque universellement couronnée de succès, à l'exception de quelques fabricants obstinés.

Cependant, aujourd'hui, les choses prennent un tournant différent. General Motors a donné le coup d'envoi en décidant de renoncer progressivement à ces plateformes pour ses véhicules électriques, optant plutôt pour la création de son propre écosystème logiciel.

Quant à Tesla et Rivian, ils n'ont jamais succombé à cette tentation depuis leurs débuts. À première vue, ce retrait pourrait paraître contradictoire étant donné que les sondages de satisfaction indiquent qu'Apple CarPlay est souvent le critère principal d'achat pour beaucoup de consommateurs. Donc, pourquoi ce retournement de situation ? La réponse se résume à deux mots : informations personnelles. Ou plus précisément, la gestion de ces données.

Chaque lieu que vous indiquez dans votre GPS, chaque musique que vous écoutez, chaque restaurant que vous recherchez à proximité produit des données précieuses.

Quelle est la difficulté rencontrée par les fabricants ? Quand vous utilisez CarPlay ou Android Auto, c'est principalement Apple et Google qui profitent de cette abondance d'informations, laissant les marques dans un flou complet concernant l'utilisation réelle de leurs voitures.

Le pétrole du XXIe siècle

Plusieurs analystes du secteur affirment que les fabricants ont un besoin urgent d'informations concernant l'utilisation de leurs systèmes embarqués. Sans ces informations, ils avancent à tâtons, incapables d'affiner leurs propositions de manière précise.

Une situation d'autant plus exaspérante que les passagers d'un véhicule représentent un auditoire particulièrement intéressant pour les marques, qui ont la possibilité de rentabiliser ces données de diverses manières. Pour General Motors et d'autres entreprises similaires, l'objectif n'est pas nécessairement de transformer ces données en liquidités (une tentative qui a d'ailleurs échoué à plusieurs reprises), mais plutôt de perfectionner leurs produits de manière substantielle et, par extension, de maintenir la fidélité de leur clientèle.

Tableau de bord numérique dans une voiture montrant un GPS et Android Car Play

La stratégie est d'ailleurs plutôt claire : regagner la maîtrise de l'écosystème numérique pour ne plus être tributaire des décisions d'Apple et Google. En réalité, cette lutte pour l'information dévoile un bouleversement de paradigme au sein de l'industrie automobile.

Les automobiles ne se limitent plus à être des amas de métal à la mécanique souvent trop sophistiquée, elles sont devenues de véritables ordinateurs sur roues générant d'énormes volumes d'informations. Celui qui contrôle ces flux possédera une part des clés de l'innovation à venir. Ou du moins un avantage significatif par rapport aux concurrents.

Android Automotive : le partenariat contradictoire

Il faut néanmoins veiller à ne pas confondre rupture et isolement. Même si General Motors se retire d'Android Auto, cela ne change en rien son statut de partenaire de Google.

Son système d'infodivertissement est maintenant basé sur Android Automotive, le système d'exploitation intégré de Google qui combine directement Maps, l'Assistant vocal et le Play Store. Volvo, BMW, Ford, Honda et Renault ont aussi franchi le cap. La distinction est fine mais essentielle : Android Auto reflète l'écran de votre smartphone sur le tableau de bord, alors qu'Android Automotive constitue le système d'infodivertissement en lui-même, incorporé directement au véhicule.

Cette structure offre aux fabricants la possibilité d'offrir des fonctionnalités irréalisables avec une simple projection d'écran, telles que la programmation d'un parcours pour les voitures électriques en prenant en compte le niveau de batterie en temps réel, ou l'incorporation d'un système de conduite semi-autonome où une cartographie GPS précise est absolument essentielle pour son fonctionnement optimal. Ce point est légèrement moins applicable en Europe, où les législateurs sont encore plutôt réticents sur ce sujet, contrairement aux États-Unis qui sont plus permissifs.

General Motors, qui est actuellement le plus en pointe sur ce sujet, est particulièrement enthousiaste à l'idée de pouvoir offrir des expériences uniques, mentionnant l'intégration du son Dolby Atmos avec Amazon Music ou encore les mises à jour constantes qui introduisent de nouvelles fonctionnalités. Quelle est la justification fournie par le fabricant ? Proposer une liaison fluide entre les équipements, le logiciel et les services. C'est précisément ce qu'Apple revendique pour ses propres produits, d'ailleurs.

Le risque audacieux de la rupture

Négliger Apple CarPlay et Android Auto peut sembler aujourd'hui assez hasardeux, voire audacieux selon certains analystes. Donc, ce serait une décision audacieuse qui contredit le sentiment des consommateurs.

Les fabricants misent sur deux suppositions : premièrement, que l'engouement pour ces plateformes est exagéré par les sondages (c'est précisément ce qui ressort d'une recherche effectuée récemment par BMW pour expliquer pourquoi il n'y aura pas d'Apple CarPlay Ultra dans ses véhicules) ; deuxièmement, qu'ils sont maintenant en mesure de créer une expérience similaire, voire meilleure.

Tesla et Rivian illustrent bien que c'est faisable, et il n'est pas surprenant que le groupe Volkswagen, qui était complètement à la traîne en termes de logiciels et d'infodivertissement il y a quelques années, ait investi fortement dans Rivian pour bénéficier précisément de leur expertise.

Intérieur d'une voiture moderne montrant son ordinateur numérique.

Dès le départ, Rivian a décidé de concevoir l'ensemble de son architecture logicielle en interne, allant de l'électronique à l'interface utilisateur. Wassym Bensaid, qui dirige le développement de logiciels chez Rivian, précise que « cette méthode permet l'accumulation d'informations sur chaque interaction à l'intérieur du véhicule, qu'il s'agisse du système d'infodivertissement, de la gestion énergétique ou encore des aides à la conduite ». Dans ce sens, le logiciel agit comme le véritable « pouls » de l'expérience client, nourri par un flot constant d'informations qui optimise constamment les performances.

Est-il vraiment possible de reproduire ces fabricants de véhicules électriques haut de gamme ? Tesla jouit du soutien indéfectible d'une fanbase (bien que celle-ci semble se réduire progressivement) disposée à approuver ses décisions. Rivian vise une clientèle aisée et férue de technologie. Pour les marques généralistes, le défi semble être d'une toute autre difficulté.

Des objectifs de monétisation réduits.

L'évolution récente des fabricants valorisant les données devrait d'ailleurs encourager la prudence. Il y a environ six ou sept ans, l'industrie automobile connaissait une période d'euphorie liée à la valorisation de ces données précieuses.

Plusieurs fabricants ont créé des équipes spécialisées qui ont exploré des collaborations avec des assureurs et des commerçants, exhibant leur « trésor de données » en tant que nouvel eldorado. La réalité s'est avérée plus compliquée.  En Europe, grâce au RGPD, nous sommes assez protégés contre les divers scandales susceptibles de résulter d'une exploitation abusive des données.

Cependant, aux États-Unis, le récent scandale lié à l'application OnStar Smart Driver de General Motors met en lumière les écueils inhérents à cette méthode. Décrite comme un guide de conduite intégré, l'application transmettait en fait les informations de conduite aux compagnies d'assurance des utilisateurs, sans leur consentement, ce qui entraînait parfois des augmentations de tarifs.

Suite à la révélation de l'affaire par le New York Times, General Motors a promptement décidé d'arrêter le programme. De plus, la Commission fédérale américaine du commerce a imposé une interdiction au constructeur concernant la divulgation de ces informations délicates pour une durée de cinq ans.

Hormis les enjeux éthiques et réglementaires, la monétisation directe a rencontré un obstacle majeur : à différencier des mastodontes technologiques comme Google ou Apple, les fabricants de voitures n'ont ni les compétences ni les moyens nécessaires pour utiliser efficacement ces données. Le paradis annoncé ne s'est pas (encore) concrétisé.

À présent, les priorités ont évolué. Les données ne sont plus considérées comme une source de revenus future, mais plutôt comme un outil pour optimiser les processus internes : élaboration de produits, efficience opérationnelle, gestion des garanties, service à la clientèle. Des secteurs où les retours sur investissement semblent plus concrets et quantifiables.

Apple et Google ne se retirent pas pour autant.

À Cupertino et Mountain View, on ne prévoit pas de renoncer à l'industrie automobile, en dépit des défis qui semblent se poser devant eux.

Bien que l'industrie automobile ne représente qu'une fraction minuscule des vastes domaines d'activité d'Apple et Google, elle demeure stratégiquement importante et attrayante. Le temps que leurs utilisateurs passent en voiture est tout simplement trop précieux pour le céder à d'autres.

Apple CarPlay Ultra en natif dans l’Aston Martin DBX

Apple encourage donc l'évolution de CarPlay Ultra, une version améliorée qui gère la totalité du tableau de bord numérique. Cette évolution, annoncée il y a presque trois ans, vient tout juste de se matérialiser… sur les Aston Martin.  Hyundai, Kia et Genesis ont aussi affirmé leur dévouement.

Quant à Google, il a élargi ses stratégies en adoptant Waymo pour la conduite autonome et Android Automotive pour l'infodivertissement intégré. Cette approche omnicanal s'avère efficace, de nombreux fabricants optant pour sa plateforme.

Toutefois, la question de la distribution des données entre les fabricants et les grands acteurs de la technologie demeure toujours floue, bien que certains « ententes » soient probablement déjà en place dans certaines situations.

Il est clair que General Motors établit de plus en plus des limites bien définies. Le fabricant a récemment défendu à ses revendeurs de mettre en place des kits provenant d'autres sociétés qui permettent d'incorporer Apple CarPlay dans ses voitures électriques, citant des dangers pour les « fonctions critiques de sécurité ».